Le cuisinier Ilyes passe la tête et son sourire lumineux par le passe-plat. Il me tend le poing, je lui tends le mien. Nos deux poings restent en contact.

- Papy !
- Ilyes !

- Tu vas bien ?
- Ça va. Et toi ?

- Ça va.
- Et la famille ?

- Rien à dire, ça va. Et toi, la famille ?
- Pas de famille.

- Pas de famille ?
- Pas de famille.

- Célibataire ?
- Célibataire.

- Toujours ?
- Bhein oui, célibataire, c'est pour toujours, enfin, sauf si ça change demain.

- Demain.
- Plutôt jamais.

- Aïe ! Aïe ! Jamais de femme ?
- Ah si ! Beaucoup de femmes.

- Combien ?
- Houpfff ! Beaucoup, beaucoup... Et toi, marié ?

- Bientôt.
- Ah bravo ! Avec qui ?

- Bah avec une femme !
- Tu ne sais pas encore qui.

- Non, mais elle non plus.
- Ah.

Ils lâchent le contact des poings.

- Bientôt.
- Elle a de la chance.

- Beaucoup de chance.
- En tous cas, bravo !

- Toi aussi, il faut t'y mettre Papy.
- Oui, oui... Bientôt... Mais.

- Mais ?
- Si elle ne cuisine pas aussi bien que toi, qu'est-ce que je fais ?

- Aïe... Vous venez manger tous les deux.
- Chaque jour ?! Ça va faire cher.

- Sauf le lundi.
- Ah, oui, sauf le lundi, hum... Ouais, ouais. Je vais y réfléchir... D'un autre côté, si elle fait mieux la cuisine...

- Tu ne viens plus.
- Je ne viens plus. Sauf pour te dire bonjour, bien sûr.

- Oui mais c'est pas pareil.
- C'est pas pareil. Pitin ! Les bonnes femmes ! Elles sont pas encore là qu'elles te prennent déjà la tête !! Pffff...

- Ouais, là on est coincés.
- Ou alors.

- Ou alors ?
- Ou alors... toi, tu viens dîner chez nous !

- Ah bhein oui !! Ah c'est très bien ! Ça alors ! Mais oui ! Merci Papy !!
- Et tu pourrais venir le lundi.

- Ah mais bien sûr, le lundi !
- Vive le lundi !

- Ah vive le lundi, ça c'est sûr, vive le lundi !
- ...

- Mais dis-moi Papy...
- Oui ?

- Est-ce que je pourrais venir avec ma femme ?
- Oui, oui, trois fois oui. Evidemment ! Comment pourrais-tu venir sans ?

- Bhein, si elle était chez ses parents.
- Ah non ! Pas quand je vous invite ! Pas le lundi. Ces femmes quand même ! Toujours des problèmes, des problèmes. Prends-en une sans parents.

- Bon, bon, on s'arrangera, on s'arrangera.
- ...

- C'est formidable, cette histoire.
- Et ça finit bien. Un vrai conte de Noël.