Jour de Noël 2022, vers 20h.

Cher B*,

Merci pour ton bon mail, amical et chaleureux.

Hélas, c'est chaque année la même chose. Quand on n'a plus de famille, mais qu'on eut la chance douloureuse de passer dans l'enfance des Noëls enchantés, avec de proches parents aimants, des histoires et des cadeaux, tous les autres Noëls semblent mornes et tristes.

J'ai pourtant tout essayé. J'ai organisé des réveillons chez moi avec des amis esseulés. J'ai été chez les parents de mon ex. J'ai rejoint des inconnus. Etc.

Mais chaque fois s'abattait sur moi la mélancolie la plus terrible, et malgré mes efforts pour la cacher, je n'étais pas un convive très joyeux, souffrant aussi, ainsi, de devoir feindre que tout allait bien.

C'est finalement la solution la plus simple qui m'est la moins désastreuse : rester seul avec mes souvenirs, du champagne, quelques machins Picard et, si possible, le plus difficile à trouver, une bonne série qui parfois nous invente une nouvelle famille.

C'est aussi le sort de beaucoup de papys et mammys. Mais heureusement, nous les seniors, qui survivons au temps qui passe et à ses problèmes de santé croissant, nous nous reconstituons en parallèle, sans l'avoir voulu ni même pensé, une nouvelle famille, aimable, bienveillante, compatissante.

Elle serait parfaite si elle se réunissait toute ensemble. Hélas, j'ai essayé, j'ai envoyé des invitations vainement.

Pourtant, elles, ils, sont vraiment formidables ! Oui, oui, de vrais saints, qui font des miracles : mon généraliste, ma cardiologue, mon pneumologue, mon urologue, mon gastro-entérologue, mon proctologue, mes deux oto-rhino-larynglougloulogues, mes trois dentistes, mon parodontologue, mon endodontologue, mon radiologue, mes quatre ophtalmologues, mon opticien, ma podologue, mon dermatologue, mon lymphologue (le seul qui me fasse peur, sans le vouloir), ma contentiologue, et bien sûr, ma régulière, la kiné.

Cela ferait une fête de 25 personnes. Ils pourraient enfin se voir. 31 personnes ! car il serait quand même normal que mes quatre pharmaciennes et mes deux pharmaciens viennent aussi.

En attendant ce jour, ce soir, qui n'arrivera jamais, à moins que je ne réussisse à gagner au Loto auquel je devrais jouer pour organiser un grand Congrès Médical Global à Saint-Barth, qui s'appellerait : "Les experts se parlent entre eux", en attendant, je puis au moins inventer une réunion symbolique.

Après tout, Noël n'est qu'une fête symbolique où l'imaginaire déborde le réel qui en profite pour faire de nombreux dégâts chez beaucoup de gens : suicides accrus, mains en sang des amateurs ouvreurs d'huîtres, disputes familiales et règlements de comptes insoldables, pleurs des enfants déçus par leurs cadeaux, colères rentrées des adultes dans le même ou qui découvrent s'être ruînés pour des radins, bagarres d'ivrognes qui finissent aux urgences, indigestions géantes...

Je me demande si l'on pourrait un jour mesurer les vrais Noëls joyeux à tous ces faux semblants de fête.

"Fêtons au grand Congrès Médical Global". Ne serait-ce pas une belle occasion de montrer à nos si dévoués soignants à quel point nous les aimons ?

A trente ans, je ne voyais un médecin qu'une fois tous les deux ou trois ans. Preuve que je ne suis pas hypochondriaque mais que mes propres souffrances grandissent avec le nombre de médecins. Quand il me faudra tout un hôpital, j'espère que l'on me mettra sous morphine.

Merci à ma Sainte-Famille de me rendre l'espoir de renaître un jour à une vie meilleure (si possible dans une crèche numérique éternelle).

Amitiés,

Papy.

PS - J'oublie les laborantines et les nombreux employés de la Sécurité Sociale et de la Mutuelle. Dois-je déjà consulter un gérontologue ou un neurologue ? Ou un psy ? Qu'en penses-tu, franchement ?