- Papy, est-ce que les moustiques piquent aussi les savants qui étudient les moustiques ?

- Oui et non.

- Oui ou non ?

- C'est une question de point de vue, Sophie. Ça dépend dans quel camp tu es. Celui des moustiques ou celui des savants ?

- A ton avis ?

- A mon avis, tu es à Lacan pagne.

- Wouaf, wouaf ! Papy... je croyais que tu avais pris ta retraite de psy.

- Ah ! C'est pour cela que tu n'es plus patiente ?!

- Papy ! Arrête ça tout de suite ! Moi ! Ta petite-fille préférée, et tellement préférée que tu n'en as pas d'autres ! Faire de moi le pagne de Lacan ?!

- Oui mais... à la campagne !

- Tssss...

- Si dans le non-sens de la vie, on ne peut même plus jouer avec les mots...

- Pppfffffffffffffftttt.

- J'aurais bien aimé photographier ce soupir ! Tu peux me le refaire ?

- Papy ! Est-ce que les moustiques piquent aussi les savants qui étudient les moustiques ?

- Ce que je veux dire, ma chère Sophie, c'est que, faute de mesures objectives et de chiffres assurés pour te répondre, je dirais que les ennuis dépendent beaucoup de la perception que l'on en a.

- Hum... tu abandonnes les signifiants de Lacan pour le positivisme américain ?

- Pas du tout. J'élargis l'affaire. Prenons le signifiant en question, ici le mot "moustique". Je suppose que rien que d'y penser, ça te pique et ça te rappelle des souvenirs désagréables. Alors que pour un entomologue diptérologue spécialisé dans les moustiques, eh bien, ça lui rappelle sa passion.

- Tant de passion, tant de sang !

- Et pour les piqûres de moustique, j'ai l'impression que ce sera pareil. La démangeaison désagréable est sans doute compensée pour lui par l'agrément de son analyse : quand ai-je été piqué, par quoi, où cela, et les autres, aussi ou pas ? Donc il n'aura sans doute pas l'impression d'être piqué aussi souvent que le commun des mortels.

- Super. Merci papy. Je crois que je vais me mettre à étudier les mecs d’un peu plus près.

© Dr Groucho Duchmoll