Hier soir, je suis allé faire les courses du samedi ; sur ma liste, une bouteille de coca zéro.

J'ai vu "promotion gagnante" dans les rayons - cela prouve qu'il y a aussi des "promotions perdantes".

"Pour l'achat de deux bouteilles, la troisième est gratuite." Bon. Ok, j'ai pris une deuxième bouteille.

La caissière était une jeune fille magnifique, une Noire aux traits fins, beauté peuhle, turban rouge, rouge vif aux lèvres, couleurs tranchantes, sourire de perles.

Après avoir payé, en remplissant mon mini caddie bleu, je m'aperçois avoir oublié la troisième bouteille.

La caissière aurait dû l'enregistrer mais, petite moue, elle est d'accord pour que j'aille la chercher.

Je me trouve mesquin, je suis Madonna découpant des bons de réduction dans sa cuisine de plusieurs millions.

Soyons grand seigneur (peuhl), avec panache.

- Bah, tant pis, lui dis-je, mon caddie est plein. Vous le boirez vous.

Pas de réponse.

- Vous l'offrirez à quelqu'un d'autre !

Petit sourire forcé. Sans me regarder.

Mais pourquoi me regarderait-elle alors qu'elle est concentrée sur le client suivant, peut-être le trois centième de la journée ?

Je lui dis au revoir, je me retrouve (?) dans la nuit noire de l'heure d'hiver.

Panache, panache ! C'est idiot. Pour que ce soit vraiment du panache, il faut donner au moins cent euros.

Là, c'est juste de l'orgueil mal placé. Et un certain mépris de l'argent.

Ou une mise à distance des "promotions gagnantes". C'est un bon exercice pour apprendre à perdre.

C'est vrai, depuis notre naissance, on nous apprend à gagner, c'est la compétition permanente.

Plus grand, plus fort, plus vite, plus intelligent, plus plus... Et tout mesurer pour avoir des résultats indiscutables.

Pourquoi toute notre société, l'école, notre éducation sont-elles fondées sur la victoire et sur le gain ?

Alors que dès la naissance, nous ne cessons de perdre, perdre toujours plus, des gens, des objets, de parts de nous, physiques ou spirituelles.

Ce serait beaucoup plus simple, apaisant et moins coûteux écologiquement, de nous apprendre à perdre.

Au sein de nos tribus, ou entre elles, peut-être que ces combats permanents pour gagner nous stimulent, nous excitent et nous distraient davantage.

Les luttes pour gagner nous font oublier que nous sommes perdus, que nous sommes d'infimes grains d'espace et du temps.

Nous concentrer sur le poing du boxeur, le ballon de football, la dernière invective baveuse de Trump ou une bouteille de coca perdue éloignent notre esprit de l'effroi des espaces infinis.

Infimes dans l'infini.

En rentrant dans l'immeuble, je me suis aperçu avoir perdu mes clés.

Même mon inconscient voulait m'apprendre à perdre. Il était temps.

Mais je les ai retrouvées fichées dans la serrure de mon appartement.

Ma tribu invisible de voisins ne veut pas que je sois trop perdu, il était temps.

J'ai laissé une bouteille de coca, ils ont laissé mes clés.

Vous écrire me relie à un autre grain d'humanité.