Penelope et François Fillon, l'union fait la force
Paris Match| Publié le 13/10/2010 à 22h35
Virginie Le Guay

Pour le Premier Ministre, l’arme secrète de sa sérénité, c’est sa femme. En politique, un destin se bâtit à deux. Enquête.

« C’est mon socle. Mon port d’attache », a lâché un jour, en veine de confidences, François Fillon à propos de sa femme, Penelope. « Mon mari n’a pas l’instinct du tueur », a déclaré, il y a longtemps, l’intéressée. François et ­Penelope. Penelope et François. Trente ans que ça dure. Cinq enfants. Un record dans un monde où l’instabilité conjugale et sentimentale est la règle. Comment ont-ils fait pour résister aux pressions, aux tensions, aux tentations de la vie publique ? Pour être heureux et le rester ? C’est l’histoire d’un couple ordinaire dans un monde pas ordinaire.

17 mai 2007. François Fillon, théoricien de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, vient d’être nommé à Matignon.

Pour Penelope, c’est un coup de massue. « Je n’y arriverai pas. Cette vie n’est pas pour moi », confie-t-elle à une amie proche, venue avec elle visiter Matignon.

Trois ans et demi après, en ce mois d’octobre 2010, Penelope Kathryn Clarke, épouse Fillon, née au cœur de l’été 1956 dans le petit village de Llanover, au pays de Galles, se prépare à plier bagages. D’un jour à l’autre. Au cas – probable – où François ne serait pas reconduit dans ses fonctions.

Et si elle s’inquiète, parfois, de ne pas savoir ce qu’il adviendra d’elle, de François, des enfants, quelle sera leur nouvelle vie, elle n’en laisse rien paraître.

Avec ses manières courtoises, son sourire désarmant, son allure démodée, on la croirait sortie d’un roman de Jane Austen. Mais gare aux apparences : Penelope est une dure à cuire. Forte femme, fausse timide, qui sait ce qu’elle veut et ne veut pas. Et ce qu’elle veut, c’est que François, son introverti de mari au tempérament parfois complexe, soit heureux. ­Envers et contre tous. Y compris contre lui-même.

A Matignon, avec les trois derniers enfants

Résultat : François et elle ont vécu à Matignon comme ils le ­souhaitaient. Comme avant. Tranquillement. Du moins en apparence. Sans se plaindre de l’exiguïté de l’appartement privé, où ils se sont installés avec leurs trois plus jeunes enfants. Sans manifester le moindre agacement devant le peu d’intimité dont ils disposaient.

Et si Penelope attendait parfois avec impatience que le soir survienne et qu’enfin la porte de la salle à manger familiale se referme sur son époux, elle n’en a jamais rien dit.

A quoi bon se plaindre ! Et puis se plaindre de quoi ? Penelope et François ne sont pas du genre à s’épancher. Pas plus aujourd’hui qu’hier. Deux taiseux. Quand, en 2008, François a eu si mal aux lombaires pendant d’interminables semaines, tous les deux ont laissé la presse railler ce Premier ­ministre qui en avait forcément « plein le dos » d’être le « collaborateur » de Nicolas Sarkozy.

Mais,

en coulisses, Penelope s’est activée sans relâche pour lui trouver médecins et traitements adéquats.

Au fil des années, malgré plusieurs exceptions notables comme cette pose en famille avec Paris Match, François et Penelope Fillon ont fait de leur effacement une force. Un choix qui ne doit rien au hasard. « Je rends compte de ma vie publi­que. Ma vie privée, je ne la dois à personne », estime François Fillon. Qui, malgré une longue et riche ­carrière ministérielle – Enseignement supérieur, Technologies de l’information, Poste et Télécommunications, Affaires sociales, Education nationale – entamée en 1993, n’a quasiment jamais transgressé cette règle. D’un commun accord avec ­Penelope, « Penny » pour les intimes, rencontrée à 20 ans, épousée à 26.

Aujourd’hui respectivement âgés de 56 et 54 ans, François et ­Penelope Fillon n’ont plus grand-chose à voir avec les jeunes gens qu’ils étaient en 1974, année de leur rencontre. De son naturel timide et maîtrisé, François Fillon a su faire un atout. Surtout face à un président de la République omniprésent et plutôt « spontané ! ».

Quant à la douce Penny, elle est devenue une femme accomplie, avertie. « Un diamant brut »,

pour la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, amie du couple. « Penelope a tout compris du monde dans lequel elle évolue. On ne la lui fait pas », raconte le député de Paris Bernard Debré, qui se souvient de son « humour délicieusement british », lors d’un dîner avec les ­Lacharrière.

Insensible aux honneurs, étrangère à la courtisanerie, Penelope reste de marbre face aux flatteurs, aux intrigants.

C’est ce qui fait sa solidité. Et celle de son époux, plus angoissé qu’il n’y paraît et dont l’émotivité rentrée a sauté aux yeux de tous lors de l’hommage qu’il a rendu, le 7 janvier dernier, à Philippe Séguin, son « ami ».

Née à la campagne,

Penelope est une terrienne, une « paysanne », comme elle dit elle-même, qui aime les chevaux – elle monte régulièrement à l’Ecole militaire –, le jardinage, le grand air. Rien ne lui fait plus plaisir que d’aller avec François dans leur propriété familiale de Solesmes

où elle a habité près de vingt ans et dont elle nous a parfois ouvert les portes. Devenue plus parisienne depuis que son mari est Premier ministre, elle s’est adaptée.

Concerts – les Stones au Stade de France, Leonard Cohen à Bercy, Sting à l’Olympia –, théâtre, tout est prétexte pour arracher son mari à « l’enfer de Matignon ».

Par son intermédiaire, François Fillon a ainsi rencontré ­Muriel Mayette, administrateur de la ­Comédie-Française. Grâce au festival d’art baroque de Sablé-sur-Sarthe, il s’est lié avec le chef d’orchestre ­William Christie. Comment perdre pied aux côtés d’une femme que rien n’effraie ? Les années peuvent blanchir ses cheveux, son ­visage accueillir ses premières rides, Penelope flanche rarement. Si elle assiste aux défilés des grands couturiers, elle ne leur emprunte ­jamais de ­tenue. Chez Dior, où elle vient régulièrement, on regrette de ne pas l’habiller. « Elle a une classe naturelle. » On l’a aussi vue chez Franck Sorbier. On ne l’y voit plus.

A mille lieues des schémas féministes, Penelope et François forment un couple dont les enfants sont l’épicentre. Arnaud, le petit dernier, né en 2001. Edouard, 20 ans, qui, après deux années de « prépa » à Saint-Louis-de-Gonzague, a intégré, du premier coup, l’Essec en juin 2009. L’aînée, Marie, 28 ans, seule fille, mariée depuis trois ans. Sans oublier les deux garçons, Charles et Antoine, 26 et 24 ans, toujours entre deux stages et trois séjours à l’étranger. Les Fillon sont une famille ­nombreuse. Une tribu. Qui pratique, comme une religion, le « vivre ­heureux, vivre caché ». Prête depuis toujours à « autre chose »,

Penelope n’a jamais rien ­attendu du monde politique dont elle connaît toutes les cruautés et les revirements. Elle garde un mauvais souvenir de l’éviction éclair du ­ministère de l’Education nationale en 2005.

« A 13 heures, François a ­appris qu’il n’était plus en poste.

A 17 heures, on était partis. » A ­Matignon, elle se sent « en transit ». Une précarité qui la rend légère.Un détachement qui explique sans doute, aussi, celui de son époux, que son entourage dit « très zen », ces jours-ci, malgré l’incertitude qui pèse sur son sort. « Ils s’épaulent. C’est un couple soudé. Contre vents et marées », admire Nadine Morano, la secrétaire d’Etat chargée de la Famille, qui reconnaît que c’est « rare » dans ce milieu. « Ils se sont bien trouvés, ces deux-là », constate Bernard Accoyer, le président de l’Assemblée nationale, qui les estime « complètement raccord » : « Ils marchent du même pas. » Un peu à la manière de Jean-Pierre et Anne-Marie Raffarin qui ont toujours privilégié leur vie personnelle. Anne-Marie Raffarin a été très soulagée de retrouver son mari « tout à elle » lorsqu’il a quitté la rue de ­Varenne, en 2005. Depuis, le couple Raffarin a repris le rythme de vie cosy qui était le sien avant l’épisode Matignon. Et tant mieux si les occupations de Jean-Pierre au Sénat lui laissent du temps libre, ce n’est pas Anne-Marie qui s’en plaindra. Ni Jean-Pierre Raffarin, qui vient de ­signifier publiquement qu’il n’a aucune envie de ­reprendre du service. Au nom de sa chère « liberté ».

Ockrent, Sinclair, Woerth, toutes aussi ambitieuses

Mais en politique comme ailleurs, les couples ne se ressemblent pas. Quoi de commun, par exemple, entre le couple Fillon et le couple formé par Bernard Kouchner et Christine Ockrent, dont l’ambition a toujours été le puissant moteur ? ­Accusés d’avoir souvent pratiqué le mélange des genres, tous deux se ­retrouvent, en cette rentrée 2010, dans la tourmente. La guerre acharnée que se livrent à la tête de France 24 Christine Ockrent et son P-DG, Alain de Pouzilhac, n’en finit pas d’alimenter la chronique médiatique. Vincent Giret puis Albert ­Ripamonti ont déjà fait les frais de cette rivalité. Dernier épisode en date : l’arrivée de Jean Lesieur à la tête de la rédaction. Les relations entre Ockrent et Lesieur étant notoirement mauvaises, le feuilleton qui secoue France 24 a de beaux jours devant lui. Tout comme celui qui ­entoure la démission, annoncée puis retirée, de Bernard Kouchner dont les heures au ministère des ­Affaires étrangères semblent comptées.

Autre couple star, celui formé par Dominique Strauss-Kahn et Anne Sinclair. A la tête du FMI, DSK reste muet sur ses intentions pour 2012. Mais son épouse, ex-reine du Paf (comme Christine Ockrent), a de l’appétence pour deux et s’emploie à le convaincre de se lancer dans l’arène d’ici à la fin de l’année. Le ­remaniement pourrait aussi remettre sur le devant de la scène Eric et Florence Woerth encalminés, depuis l’été, dans l’affaire Bettencourt. Eric et Florence Woerth ont eu, ­pendant vingt-cinq ans, des parcours professionnels à progression rapide. Cet édifice pourrait s’écrouler comme un château de cartes. Il y a quelques années, Hervé Gaymard, alors ministre de l’Economie de Jacques Chirac, en a fait l’expérience. Après l’affaire de l’appartement de fonction de 600 mètres carrés que sa femme avait loué pour sa nombreuse famille, près des Champs-Elysées, dont le loyer ­men­suel se montait à 14 000 euros, il a vu, en 2005, sa carrière s’arrêter net. Redevenu ­député de Savoie en 2007, puis conseiller général en 2008, Her­vé Gaymard est retourné aux sour­ces. S’effaçant derrière Clara, la très influente présidente de General Electric France. Dorénavant, quand Hervé Gaymard est interrogé, c’est sur ses... lectures. André Malraux, Romain Gary, Pierre Jean Jouve sont ses meilleurs compagnons. « Dans la vie politique, il y a tant de choses ingrates, peu glorieuses ! Il faut avoir d’autres ancrages. » Dernier cas de figure, le tandem Borloo-Schönberg. Depuis qu’elle a arrimé sa vie à celle de Jean-Louis, l’ancienne présentatrice du 20 heures a choisi de mettre en veilleuse sa ­carrière au profit de celle de son époux ministre de l’Ecologie.

Gageons que si Jean-Louis ­Borloo est nommé à Matignon, comme il le souhaite si fort, Béatrice Schönberg ne tardera pas à venir demander quelques précieux conseils à François Fillon, dont la bonne mine après quarante mois de Matignon, souvent qualifiés de « chemin de croix », en fait rêver plus d’un. C’est ainsi que François et ­Penelope Fillon sont devenus, presque à leur insu, un couple emblématique de la vie politique.

© Paris Match, clic > http://www.parismatch.com/People/Po...