(Question posée, à tous ses étudiants, par le "MOOC CSFRS Questions Stratégiques")

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QUI EST L'ENNEMI, selon vous ?

Réponse du Docteur Duchmoll :

L'ENNEMI, C'EST LA VICTOIRE.

La femme n'existe pas (Lacan). L'homme n'existe pas (Femen). L'ennemi n'existe pas (Duchmoll) ;-) Femme, homme, ennemi sont d'abord des concepts, élaborés à partir de quelques éléments, que l'on essaie de remplir avec des gens ; et que l'on surcharge d'éléments supplémentaires. Exemple : anatomie -> femme -> poupées + prince charmant waiting + enfants + cuisine + mode + soldes…

RECIPROCITE. Il n'y a pas d'ennemi. Il n'y a que des ennemis. Liés, reliés, unis par une fonction : la fonction de l'inimitié. Car si A est l'ennemi de B, B est l'ennemi de A. En règle générale, sauf pour quelques sages de la gifle retenue comme Gandhi ou Jésus.

RELATIVITE. Cette fonction de l'inimitié a des degrés divers selon l'objet convoité ou possédé par les ennemis, et relativement à la valeur qu'ils lui accordent. Cet objet disputé peut être matériel (argent, bien, territoire…) ou spirituel (idéologie, religion…) ou humain (conjoint, peuple…) ou de toute autre nature susceptible de provoquer l'envie, la jalousie, la violence (demandez à Caïn).

PERMUTABILITE. L'inimitié peut se transformer soudainement en amitié (ou au moins en "alliance objective"), et inversement ("Seigneur protège-moi de mes amis, mes ennemis je m'en charge…"). De plus, les deux fonctions peuvent coexister en même temps pour les mêmes groupes. (On ne vend pas de bateaux aux Russes méchants avec l'Ukraine mais on leur achète toujours du gaz - qui transite, entre autres, par l'Ukraine.)

INTIMITE. L'inimitié est un lien mortifère curieux. Les ennemis se connaissent entre eux mieux que personne. Les vendettas sont la meilleure source de connaissance des arbres généalogiques. Un bon ennemi tue le temps et l'occupe. Demandez aux hooligans et aux gangs. Ou à quelques politiciens. Ou à des voisins d'immeuble.

UNITE. L'inimitié est l'un des meilleurs moyens politiques pour ne pas résoudre des problèmes sérieux. "La guerre n'est que le prolongement de la politique par d'autres moyens". Sauf que Clausewitz pensait à la politique extérieure alors qu'il s'agit surtout de politique intérieure… "Dans ces moments tragiques, la patrie doit taire ses divisions et se rassembler, blablablabla." Grâce à la lutte contre les méchants étrangers, le peuple continuera de se sacrifier, et même se sacrifiera davantage. Glorieux héros, voilà ta médaille bien méritée, pour le pain et le toit, ta famille repassera demain. Ça ne fonctionne pas toujours, demandez à Recep Tayyip Erdoğan.

PROFITABILITE. Il n'y a pas d'ennemi mais des ennemis. Tous deux achèteront des armes pour bien se mesurer la testostérone, avec de la sueur, du sang et des larmes. Très puissante, l'arme des larmes. Ils se détruiront mutuellement. Après, il faudra reconstruire (et se réarmer). Profit de la vente d'armes, de la revente d'armes et de la reconstruction. Voir Irak, Afghanistan, Israël... (le tout fort bien détaillé par Naomi Klein dans "La Stratégie du Choc, ou la montée du capitalisme du désastre" - Actes Sud). On ne fait pas des armes pour faire la guerre mais des guerres pour vendre des armes (voir le film de Michael Moore, "Fahrenheit 9/11").

RESUME. La plupart des analyses stratégiques et géopolitiques actuelles, souvent brillantes, sont faussées car elles sont conduites avec un concept qui n'est plus pertinent et qui a en quelque sorte, fait son temps. Dès lors, leurs conclusions ou recommandations ne peuvent qu'ajouter à la souffrance du monde. Il est temps de repenser ce concept vidé de son sens. Il n'y a pas d'ennemi, il n'y a que des couples d'ennemis bancaux et de l'inimitié très bankable.

REFLEXIVITE. Mais quelles sont donc les sources de l'inimitié ? L'une d'elles ne serait-elle pas "La Victoire" ? Pourquoi et pour qui, sommes-nous formatés dès l'enfance à gagner, toujours gagner, toujours être le champion, le premier, le meilleur ? Si l'on nous apprenait à savoir perdre, n'y gagnerions-nous pas davantage ? ;-)

AUTREMENT DIT...

La cause de l'ennemi, c'est la victoire.
La cause de la fraternité, c'est le partage.

© photo Chablis