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Un jour, elle était en train de lire, elle a dit, très haut, elle l'a presque hurlé : «STOP, Je n’en peux plus, j’en ai marre de lire, j’ai lu trop de livres, d’ailleurs, j’ai lu TOUS les livres, c’est fini, assez, j’arrête, fini, assez».



Les jours suivants, elle rit de ce qu’elle avait dit, mais elle n’arrivait quand même pas à reprendre sa lecture. Elle essayait des livres nouveaux, puis des livres qu’elle avait aimés, puis des livres que je lui avais recommandés, tous lui tombaient des mains, les uns après les autres.

Elle essaya la BD. Pareil. Elle se mit, fait extraordinaire, à lire des journaux et des magazines ; enfin... à essayer de les lire. Mais ils lui tombaient des mains aussi.

On pensa que quelques anxiolytiques, de bonnes marches dans les bois, davantage de fruits et de légumes, la réconforteraient, la détendraient, lui permettraient de recomposer ses forces si fameuses de grande lectrice.


Rien n’y fit. Au contraire. C’est maintenant les objets qui lui tombaient des mains. La vaisselle, les courses, les plateaux repas... son portable, son sac, ses vêtements même. C’est moi qui dus me mettre à l’habiller.


Le mal empirait, ce mal mystérieux qu’aucun médecin ni psy, ni rebouteux (ni même spécialiste de la gravitation) ne put nous expliquer ni comprendre. On n’avait jamais vu cela. Encore moins la suite.



Car, un soir, ce furent ses mains qui lui tombèrent des mains. Puis les bras. Puis, chaque jour de nouvelles parties du corps, qu’il serait trop douloureux et trop gore, d’énumérer. Je vous laisse imaginer le bruit que peut produire la chute de viscères sur un carrelage humide.

Avant de mourir, elle eut quand même la force de me chuchoter : «La chair est triste et j’ai lu...» C'était vrai, mais je n’ai pas compris la suite qui restera son secret, pour l’éternité.


© photo Chablis