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- Il faut saluer le perdant.

- Le "perdant" ! Vous allez un peu vite alors qu'une majorité de Français se sont reconnus dans ses valeurs et non pas dans les vôtres.

- C'est quand même nous qui avons gagné.

- Mais les sondages sur les valeurs disent le contraire.

- Je vous interromps pour que nous saluions Rachida Dati qui vient d'arriver sur le plateau. Enfin, presque. Nous la voyons descendre les escaliers, elle sera bientôt autour de notre table /

- Salut.

- Salut.

- Elle est habillée en noir comme pour un deuil, et avec une voilette mais son rouge à lèvres est très vif, car /

- Claire !

- Oui Roland ?! Roland est en direct de Tulle, c'est lui que nous voyons maintenant à l'écran. Il est jeune, aime les sardines grillées mais a toujours le noeud de cravate de travers.

- Je suis en direct de Tulle. Vous me voyez.

- Oui Roland.

- Je suis dans le couloir. Ah j'entends le bouton de porte s'ouvrir. Vous voyez la porte qui s'ouvre.

- Oui, c'est lui.

- Je me retourne. Ah non ! C'est une fausse alerte !!!

- Et cet homme athlétique habillé d'un trois-pièces, anthracite, c'est qui ?

- Monsieur "entre à cite", vous êtes qui ?

- Ça ne vous regarde pas.

- Ah ?! Je vous imaginais plus jeune.

- Vous avez entendu, Claire ?

- Oui, Roland. Madame Dati a une question pour vous...

- Roland, je peux vous appeler Roland ?

- Oh oui, madame, oui, votre rouge à lèvres est magnifique.

- Surtout avec sa petite voilette, hihi.

- Messieurs, je vous en prie, laissez Madame Dati s'exprimer.

- Roland, pourquoi votre noeud de cravate est-il de travers, et "toujours de travers" paraît-il ?

- Qui a dit cela ?!!!

- Moi.

- Claire, enfin !

- Bon, d'accord, ce n'est pas "toujours"...

- Ce n'est pas toujours quand il n'a pas de cravate, hihi.

- Messieurs !

- Pourquoi vous m'appelez "Messieurs" ? Je n'ai qu'un pantalon, à ce que je sache.

- On est en plein débat vestimentaire.

- Oui, c'est ce qu'attendent de nous les Françaises qui vont faire la fête : "On s'habille comment ?!"

- Eh bien, Roland ?

- Je ne sais pas, enfin, je suis orphelin, alors j'ai appris les noeuds tout seul, mais ce n'est pas terrible.

- Oh, oh !

- C'est une belle métaphore de la casse du système Sarkozy. Les jeunes précaires n'ont pas appris les gestes des anciens, ce que nous allons changer avec notre Contrat Cravate.

- Cravate évidemment masculine. Et la parité, qu'en faites-vous ?

- La parité, c'est la cravate de notaire.

- Madame Dati !!

- Pardon, je voulais dire "cravache de notaire".

- Hihihihi.

- Claire, qu'est-ce qu'elle a dit ?

- Oh je vois la porte qui s'ouvre derrière vous.

- Oh !!! mais non.

- Trop tard, le temps que vous vous retourniez, elle s'est refermée. Soyez plus vigilant, Roland. Peut-être devriez-vous nous tourner le dos pour regarder la porte ?

- Oui Claire, vous avez raison.

- A condition qu'il se tourne la cravate dans le dos, hihi.

- Qu'en pensez-vous, Rachida ?

- Je dois reconnaître que, pour une fois, l'opposition a une bonne idée.

- La majorité !

- Oui, c'est cela, on verra aux législatives, Monsieur le petit blagueur.

- Blague à tabac !!

- N'importe quoi !!

- Mais pas du tout ! Je parle de votre feu président. Tabac, tabac, feu, feu, blague, blague, hihi.

- Désolé, Claire, je quitte ce plateau. Comparer le président toujours en fonction à un pot de tabac, c'est insupportable.

- Hihi, cravate, cravate, et je vous /

- Ah, je vois la porte s'ouvrir. C'est un grand moment. Ah zut, c'est quoi, cette pancarte ?

- "Ne pas déranger jusqu'à demain matin". Et ça ? C'est quoi ce sac ?

- Je ne sais pas. Je peux regarder ?

- Bhein évidemment, vous êtes journaliste, mon vieux.

- Oui, c'est vrai... c'est du linge sale.

- Aïe !

- Oui, je crois que je me suis trompé de porte.

- Hihi.

- Oh oh, trop drôle, je crois que je vais rester, mais je vais enlever ma voilette, j'ai fait mon deuil, j'ai fait mon devoir, la vie continue.

- La vie continue.

- Oui, oui, la vie continue, et les noeuds aussi, hihi.

- Roland ?

- Oui Claire ?

- Essayez plutôt de trouver une moto et une caméra, et de suivre une voiture.

- Une voiture ? n'importe laquelle ?

- De préférence avec un gyrophare, sinon n'importe laquelle. Ça fera de plus belles images qu'un couloir désert, des images pleines de mouvement et de suspens.

- D'accord Claire, à tout de suite.

- Qu'est-ce qu'il est chou !

- Eh oui, la vie continue...


© photo Alexandre Rivela pour Mon grenier est une forteresse imprenable. -- Rubrique A/Z - Scénarios Absurdes