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par Judith Bernard, @si ; extrait...

La fin des zéros
Mais l’exemple, s’est-on écrié partout? Pour la jeunesse en quête de repères, pour les petits footeux réclamant des modèles, pour les gosses de banlieue se cherchant une conduite et un avenir, quel épouvantable spectacle! Allons bon: ne fait-il pas meilleure école, ce spectacle, que la vaste hypocrisie par laquelle on prétend leur offrir avec le football un noble idéal quand il n’est que miroir aux alouettes? Cela fait longtemps que ce répertoire de mauvais gestes et cette tribu de mauvais garçons ne font «rêver» que pour d’assez viles raisons (le flouze et les gonzesses), dans cette sorte de concupiscence qui n’est pas forcément le meilleur appétit à éveiller chez nos pré-ados égarés. Le fiasco ultime de l’équipe de France a ce mérite de couper court à l’héroïsation abusive de ces sportifs dont les talents objectifs ne justifiaient pas le dixième de leurs émoluments.

Flouze
A moi, les fortunes qu’on verse aux «grands» joueurs, de France ou d’ailleurs, d’ailleurs, ont toujours paru parfaitement obscènes. Quels que soient les talents – il en est dans d’autres métiers, qui ne sont pas si bien rétribués – elles ne se «justifient», in extremis, qu’en vertu de la loi du marché dans sa plus délirante démesure, ce qui de mon point de vue ne saurait se confondre avec quoi que ce soit de «juste». Elles servent trop facilement les politiques et les grands patrons, quand il s’agit de relativiser les colossales rémunérations qu’ils s’autorisent - «mais c’est moins que certains joueurs de foot!» répétaient-ils à l’envi - lesquels patrons et politiques savaient jusqu’ici pouvoir compter sur l’indulgence qu’inspirent les fabuleux joueurs et leurs fabuleux salaires pour désamorcer les querelles d’argent qu’on eût été tenté de leur chercher.

Le temps du blâme
Et bien c’est fini, l’indulgence, et le temps s’ouvre enfin où les querelles d’argent vont pouvoir se déployer sans mesure en un vaste blâme dénonçant les impostures aristocratiques persistantes ; la crise y aide, évidemment, qui veut que chacun fasse des efforts et d’abord ceux-là mêmes qui les réclament. Mais l’épisode des richissimes footeux lamentablement défaits y pourvoit mieux qu’aucun autre spectacle, révélant avec éclat combien l’argent par monceaux, qui prétend récompenser les réussites et stimuler la compétition, peut tout aussi bien noyer les âmes, éteindre les vertus et corrompre les «héros».

(... développement captivant, voir lien @si ci-dessous...)

Leur défaite fait s'effondrer toutes leurs cotes (morale, sportive et financière), c’est l’occasion pour chacun de dénoncer désormais les dérives liées à des enjeux d’argent bien trop colossaux pour que soient respectées les valeurs de la sportivité – non plus que quelque valeur que ce soit, d’ailleurs - et plus personne ne pourra s’abriter derrière l’incommensurable échelle de leurs revenus pour justifier et relativiser ses propres privilèges. L’heure vient décidément où les importants doivent en rabattre un peu sur leurs prétentions injustifiables : comment ne pas se réjouir alors de voir la baudruche de l’héroïsme footballistique, qui flottait au dessus d’eux tous et les enveloppait de son ombre confortable, éclater avec un tel fracas?

Judith Bernard

Judith Bernard est professeur de lettres à mi-temps. Sport favori : percer les secrets de construction des langages médiatiques. Rythme de sa chronique sur @si : un jeudi sur deux, à 10 heures.

© Source : Arrêt sur Images.
Chronique du 24/06/2010.
Les bleus, le blé, le blâme.
La morale de l'Histoire

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© photo Manga Duchmoll