porcelaines
Téléphone, télémarketing.
Un homme reçoit chez lui l'appel d'une jeune fille.
- Allo ?
- Bonjour monsieur, je suis Brigitte Sauvagnole de la société ffehepamsdoiurddffftt (inaudible). Vous êtes bien monsieur Maillot ?
- Euh... non.
- Ah. Vous voulez bien me le passer ?
- C'est malheureusement impossible.
- Il n'est pas là ? Quand rentrera-t-il ?
- Il est mort.
- Oh, je suis désolée.
- La semaine dernière.
- Oh, vraiment, monsieur, je suis navrée.
- Oui, nous aussi, nous l'aimions beaucoup.
- C'était votre père ?
- Non, mademoiselle, mon fils.
- Oh mon Dieu, c'est terrible !
- Oui, c'est vrai, mademoiselle, c'est terrible. C'est toujours plus dur de perdre un enfant qu'un parent, enfin, c'est toujours dur de perdre quelqu'un, et même de perdre, si on y réfléchit bien...
- Oui, monsieur, c'est exact, perdre quelqu'un n'est pas une sinécure.
(un temps)
Il avait quel âge ?
- Vingt ans, mademoiselle, vingt ans. Le plus bel âge pour un jeune.
- C'est terrible, monsieur, vraiment, c'est horrible.
(un temps)
C'est arrivé comment ?
- Un accident, stupide évidemment. Il s'est fait renverser par une vache.
- Une vache ?
- Oui, en moto. La semaine dernière. Nous l'avons enterré avant-hier.
- Mes sincères condoléances, monsieur.
- Merci, mademoiselle, vous êtes très gentille. Ça me touche beaucoup.
- Je vous en prie, c'est bien normal.
- Nous l'aimions tellement.
- ...
- Mais pourquoi l'appeliez-vous ? Vous le connaissiez ? Ça doit être un choc pour vous aussi.
- Euh... non... Je ne le connaissais pas personnellement. Je voulais lui faire une offre.
- Ah, et quoi donc ?
- Oh, ce n'est rien, monsieur, ce n'est plus de circonstance.
- Si, si, dites. La meilleure preuve d'amour que nous avons, c'est que la vie continue.
- Vous croyez ?
- Mais oui ! Et moi aussi ça pourrait m'intéresser.
- Eh bien... c'est de la porcelaine.
- De la porcelaine ???!!!!!!!
- Oui, vous voyez, ce n'est rien.
- Mais si ! C'est de la porcelaine ! De la porcelaine d'où ?!
- ... de Limoges.
- DE LIMOGES !!!! PUTAIN !!! DE LIMOGES ??!!
- Euh, oui.
- MAIS MONSIEUR MAILLOT ÉTAIT PASSIONNÉ PAR LA PORCELAINE DE LIMOGES !
- Ah.
- Quel dommage que vous ne l'ayez pas appelé plus tôt. La porcelaine de Limoges, C'ETAIT TOUTE SA VIE, PUTAIN !!! ENCORE PLUS QUE LA MOTO !!
- Ah bon.
- Mais pourquoi vous ne l'avez pas appelé il y a quinze jours, BORDEL ! Il ne serait pas mort !!
- Euh, excusez-moi, mais je...
- Vous ne comprenez pas, évidemment, vous ne comprenez pas. Mais c'était mon fils, bordel !!!
- Mais.
- Si vous l'aviez appelé il y a quinze jours, il vous aurait commandé, et il aurait attendu la livraison à la maison avec sa collection plutôt que d'aller passer le temps sur sa moto ! Et il n'aurait pas rencontré LA VACHE !!
- Je suis vraiment désolée. Je comprends.
- Vous n'avez pas d'enfant, sans doute ?
- Non...
- Mais quoi ?
- Ma mère en a.
- Eh bien, j'espère que vous ne la ferez pas souffrir autant que moi.
- Vous êtes très sensible.
- Tout le monde est sensible à la souffrance.
- Oui, c'est vrai ; moi, je suis obligée de m'endurcir. Dans ce métier, monsieur, on rencontre tellement de détresse, quelquefois.
- Ecoutez, mademoiselle, je pense que vous êtes quand même une belle personne.
- Merci, monsieur. C'est encourageant.
- Voudriez-vous nous soulager, nous, dans notre détresse ?
- Bien sûr, monsieur, si je peux.
- Vous êtes vraiment très gentille. Voudriez-vous nous racheter notre porcelaine de Limoges ?
- Malheureusement, c'est impossible, monsieur.
- Pourquoi ?
- Je n'ai pas de moto.
Elle raccroche.
Surpris, il regarde le combiné et dit :
- Ce n'est pas drôle.
FIN
© Photo audierne.info.vaches_beuzec © texte des adadaïstes Duchmoll de l'ADA da ; ce 1 octobre 2009 : Alexis, Florence, Philippe. Cliquer ici pour découvrir les méthodes de création des adadaïstes Duchmoll en ADA da.