Objet : Une nouvelle question pour le Docteur Duchmoll
Nom : lulu la frousse

Pourquoi il ne faut jamais réveiller un somnambule ?

Chère Lulu,

Je me demandais à moi m'aime si quelqu'un oserait un jour me poser la question, compte-tenu de son audace follement rabelaisienne en ces temps puritains et si peu gaulois. Car qui dit réveiller un somnambule, dit interruption. Et qui dit interruption, dit interruptus. Et qui dit interruptus provoque le praecox, ce qui ne plaît ni à l'une ni à l'autre.

C'est d'ailleurs ce fondement libido-psychologique primitif qui explique que l'être humain n'aime guère être interrompu, en général. Vous conduisez tranquillement ; une voiture surgit de droite et vous emboutit. Elle vous a interrompu, sit alors ! Assise sur ses genoux, vous parlez tendrement à votre assistant stagiaire ; votre chef entre et vous vire pour faute grave. Il vous a interrompu, site alors ! Vous êtes dans un club libertin, entouré de champagne et autres bulles ; ça dure, ça dure, votre coeur en a marre, vous arrête, s'arrête et vous tue. Il vous a interrompu, sit alors !

Vous comprenez ainsi la raison psychologique pour laquelle il ne faut jamais réveiller un somnambule. Il aime somnambuler, laissons-le somnambuler. D'ailleurs, même quand on essaie de le réveiller, ce n'est pas certain que l'on y arrive. Regardez George W. Bush : cela fait huit ans qu'il somnambule, et personne n'a pu le sortir de sa léthargie. Même pas sa femme Laura qui en est réduite à regarder en boucle Desperate Housewifes en rêvant aux fleurs qu'éclôt la main du jardinier.

A cette raison psychologique, il faut ajouter une raison logique. Un somnambule réveillé ne somnambule plus. Dès lors, peut-on encore l'appeler "somnambule" ? Quand le sujet n'acte plus, est-il encore acteur ? se demande la jolie groupie frustrée par l'interruption. Non, deux fois non. Donc (logique) appelons un chat un chat : réveiller un somnambule, c'est commettre un crime ontologique contre l'humanité. Eh oui ! pas moins ! il faut accepter vos responsabilités, ma chère Lulu ; car si vous les renvoyez sur quelqu'un d'autre, il sera en droit de vous demander des frais de port.

Un crime ontologique ? oui, car sortir un être humain de l'action qui le définit et lui donne son identité et sa place dans le monde, même la nuit, c'est le néantiser. D'ailleurs, relisez L'être et le néant, de Sartre, et vous ressentirez tout cela de l'intérieur en devenant vous aussi somnambule.

Oui, ô ma Lulu, voici la clé de toute l'affaire : les somnambules sont des gens en train de lire cet ouvrage majeur, et il ne faut surtout pas les interrompre pendant leur pause, sinon, lassés de lutter, ils finiront par ne plus se réveiller à tout jamais.

Votre dévoué,
Docteur Duchmoll.