Critiques variées

Nouvelle Rubrique, ouverte le vendredi 29 mars 2013. 

Règle de la Critique

Quand le critique dit du bien, c'est de la faute de l'artiste.
Quand le critique dit du mal, c'est de la faute du critique.

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samedi 14 mai 2016

Dessine-moi un dragon.

Les dragons sont les tatouages préférés des femmes.

De celles qui soulèvent le feu intérieur, et n'ont pas peur de leur passion.

Viens, mon chevalier, combattre mes flammes avec ta lance.

Je ferai fondre ton armure, tu feras fondre mon coeur.

Nos peaux garderont les traces de nos cendres, encres d'âme, ancres d'amour.


AFFICHE_TATOUEURS_TATOUéS


Cette expo enclyclopédique, au musée du Quai Branly, à travers l'histoire et le monde, est pleine de surprises.

Le tout premier tatouage attesté, j'aimerais savoir comment, date de 2500 av. JC, en Europe centrale.

Cela ne m'a pas donné envie de me tatouer quoi que ce soit, mais je crois comprendre mieux celles et ceux qui s'en piquent.

En apparence très individuelles, parfois au coeur de l'intimité, ces marques travaillées sur le corps s'inscrivent dans un groupe social, qu'il soit religieux, hors-la-loi, politique, artistique, lettré ou de fashionistas.

L'imagination des figures, c'est le cas de le dire, transforme le regard du tatoué. En l'enracinant dans l'un de ces groupes, ou un autre encore, elles écrivent l'Autre en lui. Le Créateur des signes est ainsi entré dans leur âme aussi, avec la main et l'outil, gestes d'humanité.

Comme avec la bague au toi, la tatouée proclame avoir abandonné un peu de son soi à un autre.

Et comme toujours, de ces traits singuliers naissent des pluriels : les mots attendus qu'ils susciteront.

Dessine-moi un dragon.

© réédition de 2015 spécialement en souriant pour A* F* ;)

jeudi 25 février 2016

Tchekhov


Une Demande en Mariage et L'Ours de Tchekhov
Mise en scène de Antonio Labati


Personnages qui vont tempêter, se quereller, se déchirer et peut-être se calmer ? Tchekhov nous met en présence de la médiocrité de l'âme des gens. 

Il est rare, surtout dans les petites salles (ici, une jauge d’une quarantaine de places) que le public se lève pour applaudir. Ce fut le cas au Bouffon-Théâtre pour les deux "Plaisanteries" d’Anton Tchekhov, jouées par une jeune et très tonique Compagnie de Seine-et-Marne, "Entre cour et jardin".

C’est un bon choix du metteur en scène, Antonio Labati, d’avoir associé ces deux courtes pièces qui, côte à côte, mettent davantage en relief la vision pessimiste de Tchekhov sur la vie conjugale. On sait que lui-même se maria fort tard, et avec une actrice moscovite qui vivait loin de lui... : manière élégante et pratique d’éviter les frictions quotidiennes dévoreuses de couples.

Dans La demande en mariage, un vieux garçon pataud, résigné à ne plus trouver le grand amour, vient demander la main de sa voisine, une vieille fille tout aussi pressée de se marier. Le père est enchanté de la caser. Enfin. Même si c’est avec ce monsieur qu’il n’estime guère. Tout devrait donc finir aussitôt. Hélas, les deux promis s’étrillent et s’écharpent sur des vétilles (la propriété d’un pré désolé, la valeur respective de leur chien...), et tous deux s’y prennent comme des mégères, comme s’ils étaient déjà mariés depuis mille ans.

L’amour et le coup de foudre qui leur manquent, le voilà dans L’ours : un homme qui vit comme tel et sort soudain de sa retraite pour réclamer le paiement de traites impayées à une veuve recluse. Mais cette fois, la dispute qui naît entre eux conduit à échauffer les cœurs plus que les têtes, et les protagonistes subjugués finissent par s’étreindre sous l’œil médusé de l’impotent serviteur armé. (Il était aller chercher un fusil pour chasser définitivement ce méchant Ours.) Comme quoi, même dans le meilleur des baisers, une menace veille...

Tout cela est joué vivement, parfois avec un peu trop d’agitation et de fébrilité scéniques, mais comme le tout est emporté par une réelle générosité des acteurs (qui mouillent, au sens propre, leur chemise), le public passe un agréable moment et rit souvent.

J’ai trouvé Antonio Labati (le vieux garçon puis l’Ours) beaucoup plus dense dans ses moments tragiques ou colériques mais il a quelques effets comiques et des mimiques très efficaces. Jean-Christophe Allais (le père puis le serviteur) gagnerait à donner à son premier personnage un peu plus d’épaisseur "stanislavskienne" (Stanislavski créa à peu près toutes les pièces de Tchekhov et conçut une géniale "Formation de l’acteur") mais il est particulièrement touchant et juste dans son second rôle, nuancé et attentif. Enfin, la lente métamorphose de Fanny Malterre, seule en scène, pour assurer le passage entre les deux "Plaisanteries" (terme de Tchekhov) est éblouissante. Là se découvre le cœur du travail de l’acteur. Elle se déshabille (très pudiquement) du rôle de la vieille fille sévère et empotée, dénoue sa queue de cheval, glisse une longue robe noire et devient une autre femme, aristocrate et délicate, fine et voluptueuse ; le tout s’épanouissant dans la musique de Bellini. Excellent. Je pense que Tchekhov aurait beaucoup apprécié cette joyeuse exubérance apportée à ses textes grinçants... "Le début du bonheur conjugal", dit-il... 

Philippe Dohy


 


Une Demande en Mariage et L'Ours de Tchekhov
Jusqu'au 13/07/2002
Du mardi au samedi à 20 h 30. 

Bouffon Théâtre
28, rue de Meaux
75019 PARIS (Métro Colonel-Fabien)  

Réservations : 01 42 38 35 53

dimanche 22 mars 2015

Pourquoi êtes-vous des imposteurs ?

"Tout navigue sous de faux pavillons, disait Kafka, et les "personnages" du spectacle sont les premiers à en témoigner… Et à ironiser sur la parfaite adaptation à l’artifice des postures sociales, des jeux de rôles, des normes conformistes qui nous façonnent et nous coulent dans des personnalités d’emprunt, aujourd’hui peut-être plus que jamais. Le temps ne fait rien à l’affaire et toute l’histoire est recyclable dans notre monde des apparences et des vérités formatées.

compagnie_mossoux_bonte_histoire_de_l__imposture.jpg

Mais le spectacle évoque aussi le sentiment de ne pas être entier dans ses intentions et ses désirs, de ne pas faire corps avec soi, de se sentir constamment divisé et faisant semblant de vivre, de ne pas être à sa place et finalement d’être un imposteur…

Comment s’échapper de la problématique ? Comment jaillir hors du semblant, hors du faux, de l’à-peu-près, de l’emprunté et de l’ambigu ? Peut-être en se laissant posséder et emporter par la sauvagerie d’une énergie qui libère les "personnages" de ce qui n’est qu’une comédie humaine - et qui les déborde : hors d’eux, de leurs doutes et de leurs petites impostures sans histoire…"

Les spectacles de la Compagnie Mossoux-Bonté sont des horlogeries luxueuses et compliquées qui donnent l'heure du désir quand on les regarde, même distraitement, si c'est possible.

Patrick Bonté et Nicole Mossoux
Compagnie Mossoux-Bonté

Histoire de l’imposture

VIDEO de présentation (4') > http://www.numeridanse.tv/fr/video/...

Mercredi 25 mars à 20h30
Vitry-sur-Seine - la Briqueterie

infos > clic http://www.alabriqueterie.com/index...

Autres dates, autres lieux > clic > http://mossoux-bonte.be/fr/spectacl...

jeudi 10 octobre 2013

le jardin à la française de Patrice Chéreau



Le Désir mis à... l'Epreuve de Marivaux, Compagnie Eulalie
Mise en scène de Sophie Lecarpentier. Avec Xavier Clion, Hélène Francisci, Vanessa Koutseff, Sophie Lecarpentier, Solveig Maupu, Emmanuel Noblet, Stéphane Brel, Julien Saada


Ah, la France, tant d'Esprit au théâtre pour gouverner les passions mais si peu pour gouverner les hommes, vous verrez que ce n'est pas hors-sujet, dans cette Epreuve...

Ce spectacle est excellent, comme bon nombre de ceux du Théâtre 13 qui soigne sa programmation et nous déçoit rarement. Il a l'originalité d'offrir deux parties. La première nous présente les moments les plus importants de la répétition de la seconde : L'Epreuve, courte pièce de Marivaux.

Commençons par résumer celle-ci.

Le jeune seigneur Lucidor tombe malade en province, sur ses nouvelles terres. Puis il tombe amoureux de la belle Angélique qui le soigne. Elle aussi se met à l'aimer. Mais hélas, ils ne se le disent pas, rien, que des jeux de regards incertains, des sous-textes à peut-être, des frôlements Oh oui, oh excuse-moi, ah, frôle-moi encore.

Il est très riche, il vient d'acheter ce grand château dont l'intendante, Madame Argante, bourgeoise fort désargentée, est la mère d'Angélique. Et elle veut justement marier son enfant unique à un homme riche. Alors ? mais ? quoi ? et quoi encore ? se torture Lucidor, question obsessionnelle du théâtre de Marivaux, et de tout millionnaire qui drague en étalant son argent, suis-je aimé pour moi-même ou pour mon titre et ma fortune ?

Pour le savoir, Lucidor va évidemment marivauder, ce qui se résume par : avouer ses sentiments en se déguisant. L'amour que l'on attribue à un autre semble souvent plus léger. Le vrai se masque sous la fiction pour dire le vrai. C'est l'essence du théâtre. Et comme chez Marivaux, tout cela s'analyse, se dit et se joue avec esprit, je le tiens pour le dramaturge qui exprime le mieux la finesse française.

Lucidor fait venir de Paris son valet Frontin en lui demandant de se faire passer pour une sorte de milliardaire. Comme Frontin est aussi bel homme, galant, intelligent et drôle, il a tout pour plaire à la mère. Mais aussi à Lisette, jeune servante qui croit reconnaître en lui un certain valet Frontin dont elle fut amoureuse à Paris, C'est toi ? non ? oh excusez-moi... mais si c'est toi !

Suite au théâtre ; ou dans le texte, puisque le théâtre de Marivaux se lit de manière captivante. Et c'est là que, devant tant d'esprit, nécessairement à l'écoute de l'autre (sans quoi la répartie ne se peut et tombe, molle et sans substance), l'on ne comprend pas, que nous ne soyons plus, en France, les rois de la négociation subtile. Et que nous ayons réduit celle-ci à de primaires et vulgaires rapports de force.

Quoique, admirez cet art de la transition que savoure mon rédac'chef, bel homme drôle et plein d'esprit, en retournant à la première partie, très fidèle à la vérité de la plupart des répétitions de théâtre en France, on y découvre, là, bien tapi dans les coulisses, mais pourtant tout-puissant, un autre pouvoir de droit divin, celui du monarque metteur en scène.

Le comédien idéal, de ce point de vue (très réaliste, j'insiste) est une machine à émotions, un instrument parfait. Il faut que tu sois ceci, il faut que tu sentes cela, il faut que tu dises ainsi, il faut que tu fasses comme ça. Chaque phrase, chaque mot, chaque geste sont sollicités et choisis, puis fixés et imposés.

Pour bon nombre de metteurs en scènes actuels, l'acteur se doit d'être une "marionnette intelligente mais docile". Au théâtre, celui qui joue le plus, c'est le metteur en scène. Vous ne me croyez pas. Essayez de voir, je ne sais où le trouver, sauf à l'Inathèque, mais en fouillant internet ou les médiathèques, vous le trouverez peut-être, et dites-moi où, essayez de trouver le remarquable documentaire d'Arte sur les répétitions de Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Patrice Chéreau, avec Pascal Greggory.

Vous verrez que chaque syllabe est répétée et répétée, variée, étudiée, composée, notée, fixée, figée. Tout le texte devient une partition précise, comme les interminables didascalies de Beckett. Et cette manière de mettre en scène a produit un réel chef-d'œuvre, que sanctionna un Molière, bien mérité, de la meilleure mise en scène, en 1996.

Ce droit divin du "chef" n'est plus remis en question, c'est devenu une règle du jeu. Le metteur en scène est jacobin. Il sait tout, il voit tout, il décide de chaque détail, il quadrille textes, scènes et corps. C'est le jardin à la française, où même des genres sont définis et cloisonnés (tragédie, tragi-comédie, comédie de mœurs, de caractère, larmoyante, etc.).


Ailleurs, brève digression, en schématisant à la hâte, il y a le jardin à l'anglaise, foisonnant, mélangeant tous les genres, le théâtre shakespearien. Ou les improvisations italiennes, les canevas qui limitent un terrain, où les acteurs ont plus grande liberté pour jouer, jouer entre eux. Etc.

Ainsi, ce spectacle est une excellente métaphore de "l'épreuve française" du classicisme qui, somme toute, perdure depuis le Grand Siècle : notre langue a tant d'esprit que tout pouvoir la craint. Il veut la diriger en chaque mot.

Mais si Marivaux prit pour muse la belle Silvia des Comédiens-Italiens (chaque pièce de lui où l'on retrouve son prénom fut écrite pour elle), comédienne la plus aimée et la plus célèbre de l'époque, c'est peut-être parce qu'avec leur jeu plus libre, les Italiens donnaient à ses textes plus d'esprit. Certes, il n'avait guère le choix, mais il ne le regrettait pas.

Ainsi, brève illusion, pour être mieux gouverné, ce pays si profondément spirituel, mériterait sans doute d'être mieux et plus souvent écouté, en chacun de ses acteurs, si créatifs. A l'épreuve.

Philippe Dohy


Voir ou revoir 5 films de, ou sur, Chéreau ; détails dans ce billet >

 

Le Désir mis à... l'Epreuve 
de Marivaux, Compagnie Eulalie,
fut joué de septembre à octobre 2010.

Théâtre 13
103A, boulevard Auguste-Blanqui
75013 PARIS (Métro Glacière) 

vendredi 29 mars 2013

l'artiste et le critique

Règle de la Critique

Quand le critique dit du bien, c'est de la faute de l'artiste.
Quand le critique dit du mal, c'est de la faute du critique.

Exception confirmant cette règle...

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© Magritte via Catherine Bouddebbah via JLuc Clergue

Un plus grand format de cette lettre est ici, clic > http://www.docteurduchmoll.com/publ...